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humeur référendaire

10 mai 2005

Humeur référendaire

Le doute qui m’a envahi à  l’heure de me prononcer pour un choix qu’on nous annonce crucial : le référendum sur la Constitution européenne.

Envisager de dire non pour la première fois. La première fois depuis qu’on m’a demandé mon avis à l’occasion des nombreuses  consultations populaires qui m’ont concerné depuis que j’ai obtenu mon statut d’électeur en 1978. Présidentielles, législatives, municipales, régionales, cantonales, référendums sur l’Europe (déjà) : en bon citoyen, conscient du privilège de l’occidental élevé au biberon de la démocratie et des vertus républicaines, j’ai eu à cœur (hormis une exception, soyons honnêtes où je considère avoir été trompé sur la marchandise) de répondre présent et d’acquiescer à ce qui me semblait être la voix du progrès. .

Un de mes premiers votes a été à l’occasion d’un tournant de la vie politique française : l’arrivée de la gauche au pouvoir. Comme beaucoup de ma génération, enfants de Mai 68, j’ai ressenti cela comme une libération, au risque de choquer les penseurs de droite qui conservaient le pouvoir depuis deux décennies. Rien de plus normal que de voir l’esprit de la jeunesse (qui était mien à l’époque) secouer l’ordre établi. Nous étions effectivement insouciants et si nous manifestions déjà contre les réformes des ministres de l’Education Nationale, c’était surtout pour  contester. Il me semble que, en dehors de motifs légitimes qui sont passés aux oubliettes de la mémoire collective et de la mienne, c’était le plaisir de dire « non ».  En tout cas pas pour réclamer plus d’enseignants, mais peut-être moins de contraintes .Autre époque, autres mœurs. L’angoisse de l’entrée dans la vie active ne nous tenaillait pas.

Faut-il voir dans cette période d’agitation, qui consistait à bousculer toutes les règles, l’origine de cette indiscipline persistante qui caractérise l’esprit français, cette fronde permanente dans laquelle je me retrouve. Ou faut-il remonter à nos aïeux qui furent les premiers à secouer le joug de la royauté il y a plus de 200 ans. Est-ce là que nous avons puisé ce pourquoi nous sommes à la fois critiqués et enviés par  les autres peuples : ce pouvoir de s’opposer en toute circonstance aux contraintes de toute nature, du dogme des religions jusqu’au panneau de limitation de vitesse. C’est ce qui nous rend si sympathique et si détestable. Cette levée de boucliers à chaque fois que nous devons nous plier à de nouvelles règles. Je suis toujours étonné quand les Français sont consultés par sondage pour savoir de quel côté ils se rangent quand des mouvements sociaux viennent jusqu’à les toucher dans leur vie quotidienne. Et bien systématiquement ils sont du côté des grévistes. Et pourtant il y a souvent beaucoup de conservatisme et de corporatisme dans certaines revendications. Cà n’empêche pas l’opinion de dire non avec les contestataires.

En suis-je un ? Indéniablement, je partage avec beaucoup de mes compatriotes l’horreur du consensus. Il suffit que je sois dans une assemblée qui penche d’un côté pour être le seul à défendre le bord opposé. Que tout le monde pense noir et je penserai blanc. Ou rose et je penserai bleu (çà m’est arrivé politiquement parlant, l’inverse évidemment-même si mon vote a lui été toujours fidèle à mes premières orientations). Quelque chose de plus fort en moi me pousse alors à défendre les absents, qui n’existent peut-être pas ou s’en fichent complètement, mais je ne peux me résoudre à laisser  la voie libre à la pensée unique. En fait nous sommes et j’en suis, c’est sûr, des débatteurs. Nous aimons nous opposer intellectuellement et c’est tant mieux, car l’Histoire nous a montrés souvent que l’absence de contradicteurs ou leur étouffement s’avérait toujours néfaste à la longue pour la majorité, y compris des « toujours d’accord ».

On ne peut même pas dire que c’est notre culture latine qui a fait de nous ces individualistes invétérés, qui furent pendant longtemps très médiocres dans les sports collectifs, où l’intérêt supérieur du groupe prime toujours sur les individus, où une somme de talents ne fait pas systématiquement des champions du monde. Alors que les Allemands, plus mauvais footballeurs que beaucoup pris un par un, étaient systématiquement devant tous les autres. Question de rigueur. Heureusement qu’Aimé est arrivé, sur son grand cheval…Oui, donc pour en revenir au choc des cultures (celle du Sud en opposition avec celles des peuplades du Nord, promptes à se lever comme un seul homme derrière un chef et respectueuses des règles de vie en société),eh bien l’exemple de l’Italie fasciste et de l’Espagne franquiste viennent mettre à mal cette théorie des pays méditerranéens rebelles et des états nordiques policés.

Donc nous, français serions une exception faite de nos origines (déjà Jules César nous considérait comme une peuplade incapable de se gouverner) et des soubresauts de nos révolutions.

Pour moi, on imagine que cet esprit frondeur (pour ne pas dire de contradiction) n’a pas facilité ma vie quotidienne et professionnelle, car l’opposant s’attire souvent  les foudres de celui qu’il conteste, surtout quand ce dernier manque de détracteurs et qu’il est imbu de son pouvoir. A de rares exceptions près, constituées par ceux à qui j’accorde le plus grand mérite  et qui sont des grands Tolérants (sans être permissifs pour autant),  peu sont capables d’accepter la dissidence, sans fomenter intérieurement des idées de représailles. J’en ai rencontré quelques uns : qu’ils soient guide (plutôt que chef) d’entreprise, politique et vrai démocrate ou simple entraîneur de sport.

De même pour notre pays, certains nous rabâchent (à juste titre ?) que nous nous handicapons nous-mêmes dans un monde en perpétuelle évolution. A l’heure où les sciences du management, qui régissent les règles de vie en entreprise (d’ailleurs à quand le coaching familial) tendent à uniformiser nos comportements, où l’efficacité passe par la solidarité des équipes, que penser d’une nation aux élans discordants et qui se refuse à l’harmonisation globale qui lui tend les bras (pour mieux l’étouffer)?

C’est là un des enjeux majeurs de ce débat européen, qui ne fait que s’ouvrir avec le référendum du 29 mai : allons-nous perdre ce qui fait nos différences,  n’avons-nous pas la peur au ventre d’être assimilés, assiégés que nous sommes par les camps romains qui nous entourent et qui ne demandent qu’à déferler sur nos villages, à l’instar de ces perfides Anglais qui, bout à bout nous arrachent notre propre sol, forts de leur monnaie qu’ils ont ,eux, conservé. Diantre, moi aussi je suis parfois pris de relents de rejets, parce que ce n’est pas la fraternité ou l’universalité qui dirigent les pas de ces envahisseurs modernes mais l’argent dominateur. Et pourtant je suis un mondialiste avant l’heure. J’ai toujours pensé que depuis la nuit des temps et les premiers hommes, nous avons patiemment tissé les fils de nos divisions alors qu’au sommet de la pyramide, nos géniteurs sont les mêmes, que la planète bleue est une et indivisible. Que le socle de nos luttes guerrières et de nos compétitions économiques est le ferment de notre propre disparition de l’univers. Et donc, comme dans ces mauvais films de science fiction, que seul un gouvernement mondial pourra y mettre bon ordre (avec des risques évidents pour la liberté de chacun). Alors le gouvernement de l’Europe n’est-il pas une marche préalable vers cette supra-nationalité, qui pourrait mettre un frein à cette course folle vers ces dangers qui guettent tous les Terriens : surexploitation des ressources naturelles, surpopulation, risques de dérive nucléaire, dérèglement du climat et j’en passe des biens moins meilleurs…

Mais nous voyons bien que les opinions ne sont pas prêtes à écouter ce discours futuriste et c’est pourquoi le deal européen se veut avant tout dans la logique qui a toujours prévalu jusque là dans l’évolution des nations : nous devons nous regrouper sous peine de passer sous les fourches caudines de plus gros que nous, américains, chinois, indiens , brésiliens. Après  seulement dans ce vaste jeu de Monopoly planétaire et seulement si nous avons bien géré notre patrimoine, il sera temps d’acquérir à notre cause d’autres continents.

Alors pour faire court  et ne pas lasser mon lecteur, évidemment je resterai dans le camp des progressistes, mais que je comprends le clan des râleurs. Parce qu’il n’y a que ceux qui sont contents de la façon dont les choses se passent actuellement, qui voteront sans arrière pensée en faveur de la marche en avant. Mais que je comprends d’autant mieux maintenant, mais déjà bien avant, que celui qui se plaint de la différence culturelle de son voisin est celui qui n’a pas choisi son  lieu de vie et subit ce qu’il considère comme une agression, que celui qui éructe après les nantis du boulot est celui qui en manque cruellement, que celui qui en veut aux décideurs de tout poil est celui qui est dépourvu de tout pouvoir … Car il faut une bonne dose d’humanisme (et là ce sont gens qui méritent notre admiration) pour plaindre plus pauvre que soi quand on est soi-même démuni.

Voilà plus de 10 ans que rien ne m’énervait plus que de voir nos élites intellectuelles et la majorité des gens bien pensants politiquement (dont je pensais faire partie) qui mettaient une chape de plomb sur ceux qui se plaignaient des montées de racisme dans notre pays. Car il leur était facile de pratiquer une censure moralisatrice à partir de leurs beaux quartiers du XVI ème arrondissement, alors que le travailleur de nuit se (dé)battait quotidiennement avec les agitateurs noctambules d’origine diverse dans son HLM de banlieue. Je voyais bien que c’était laisser la place aux poujadistes de tout crin, prompts à sauter dans l’arène de l’impolitiquement correct et de la récupération aisée des craintes surgies du tréfonds de la misère sociale. Je le sentais d’une manière diffuse que la sanction aveugle tomberait  à un moment ou à un autre. Et je n’étais pas le seul. En lisant le récit de la vie d’une grande journaliste, Françoise Giroud pour ne pas la nommer, j’ai pu constater que lors d’un entretien à Jospin quelques temps avant la fatidique échéance de 2002, elle l’avait mis en garde sur la montée de ce phénomène amplifié par les médias qui fut la principale cause de son échec. Trop peu nombreux- je le suppose- ont été ceux de sont entourage qui l’avaient mis en garde. Et plus dure fut la chute. Pour lui et pour ceux qui sont, depuis, obligés de se coltiner une politique opportuniste, non-créative et vide de sens.

Aujourd’hui je suis un cas classique : plus de 20 ans d’activité dans le secteur privé, un parcours peut-être trop risqué à passer initialement juste après mes études du grand groupe franco-français pour finir à investir (en pure perte) dans une start-up, après avoir été dans une multi-nationale hyper-dynamique et échoué dans une PME à la fin queue de boudin. Des mauvais choix peut-être, mais aussi des aléas économiques que je ne pouvais maîtriser : successivement une fusion-restructuration, une OPA inamicale  et un dépôt de bilan. Pas bien vu au point de vue du planning , car la cinquantaine est là qui fait mauvais genre dans le tableau d’avancement des recruteurs. Et à écouter mes gouvernants très libéraux (surtout avec les autres), il ne me reste plus qu’à faire ce que personne ne peut faire pour moi, c'est-à-dire m’embaucher moi-même. Peu importe pour quoi faire. Du pain industriel dans une enseigne en toute franchise (sur ses messages, bien sûr), de la vente du n’importe quoi immobilier à n’importe qui et à n’importe quel prix, du conseil que beaucoup de dirigeants de PME pourraient utiliser mais pour lequel ils ne sont pas prêts à payer. D’autres me disent d’aller voir ailleurs. Mais va donc là-bas en Chine prêter la main à ceux qui vont rejouer la lutte des classes après avoir professé le collectivisme ou va donc en Roumanie, tu pourras y vivre pour pas cher. Mince alors, si j’avais voulu aller travailler et vivre ailleurs qu’ici, j’y serais allé il y a longtemps. Bon, bon mais attention, tu ne t’adaptes pas à la situation ! Aujourd’hui il faut être mobile. Dur d’entendre çà, quand, comme moi, on a changé volontairement ou non plusieurs fois de job et d’employeurs.

Pour couronner le tout, voilà que ma propriétaire, appâtée comme tout un chacun veut me déloger pour profiter de la conjoncture de prix tout à fait déconnectée de la réalité de l’immense majorité, silencieuse par force, des locataires dépourvus du million d’euros. Voilà des temps curieux , où ce qui pourrait devenir l’ancienne classe moyenne se voit contrainte de délocaliser son propre foyer. A l’instar de ces familles installées depuis des générations dans les centre-villes, y compris la petite bourgeoisie parisienne séculaire. Quel étonnant retour de destin pour ces imprévoyants tranquillement installés depuis des générations et qui pour certains,à l’heure de la retraite se voient repoussés dans les sphères périphériques, si loin jusque là de leur monde.

Voilà autant de phénomènes qui laissent craindre pour la fin Mai une poussée d’urticaire récréminante. Pour ma part et je l’espère pour beaucoup d’autres, ce sera malgré tout oui, dans un (ultime ?) effort de dépassement d’ego (et son corollaire l’égoïsme), car il est encore temps de laisser la place à ce qui restera toujours moteur pour l’homme moderne ou non : l’espoir et la foi dans l’avenir. Tout le reste n’est qu’arguties.

Ecrit le 8 Mai, 50 ans jour pour jour après une Victoire sur les vieux démons de l'humanité et leurs indignes représentants sur Terre.

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